mer. 7 mars 2018
Les secrets de la BD numérique primée à Angoulême
Quand Sophie Taboni nous a parlé de son projet la première fois, c’était début 2017, et depuis l’Australie. Un an plus tard, elle et Nicolas Catherin recevaient le prix du Challenge Digital sur la scène du Festival International de la BD d’Angoulême pour leur BD numérique sur leur voyage “Ici tout va bien”. Aujourd’hui les yeux brillants et la voix enjouée, elle nous raconte comment ce carnet de voyage s’est transformé en une bande dessinée numérique primée et partage quelques unes de leurs sources d’inspiration.
La BD numérique ? Après un moment d’hésitation, Sophie nous avoue qu’ils sont tombés dedans un peu par hasard, à la croisée des chemins entre le goût de Sophie pour la narration numérique et le dessin, et celui de Nicolas pour les belles images.
Du Festival International de la BD d’Angoulême, ils retiennent la découverte de nouveaux artistes, des expositions captivantes, des rencontres avec des amateurs passionnés, mais également un monde professionnel hésitant et toujours à la recherche de sa rentabilité : “La BD numérique offre beaucoup de nouvelles possibilités du côté narratif, mais pour le moment il n’y a pas vraiment de business model. Il faut vraiment fournir un investissement personnel, à part pour des projets comme [la bande défilée] Phallaina soutenue par France TV. Ou à travers des canaux publics comme l’aide à la création numérique du CNC.“
La genèse du projet
C’est à l’occasion de leur voyage en Australie et en Nouvelle Zélande qu’est né le projet “Ici tout va bien”, une BD numérique disponible sur le web et sur tablettes (iOS, Android).
À l’origine, ils voulaient trouver un moyen original de raconter leurs péripéties à leur famille et amis. Et ces deux-la, c’est clair qu’ils aiment bien faire les choses différemment. Avant de partir, ils avaient développé un CV interactif en quelques jours, à l’aide d’un copain intégrateur : “On aime bien mettre du storytelling dans ce qu’on fait. Pour le CV, il n’y avait pas beaucoup d’interactions mais il y avait déjà quelque chose qui se racontait. Et le projet a eu de très belles retombées !”
Pour leur récit de voyage vient la question du format : une fiction ? Une enquête ? “On voulait cadrer le récit en amont mais finalement on s’est dit qu’il serait difficile d’anticiper ce qu’on allait rencontrer et qu’on manquerait de temps pour développer une histoire vraiment construite. On a décidé de se laisser porter par le voyage et d’improviser. Une des idées au départ était d’écrire l’histoire sous deux angles pour créer un effet comique : l’angle épique, fantasmé du voyage et l’angle trivial, la vraie vie quoi (par exemple le tourisme avec 15000 personnes qui prennent la même photo magnifique que toi) Les gens auraient pu passer de l’un à l’autre. Mais même cela aurait été trop contraignant.”.
Pas de souci, ils se rejoignent sur d’autres principes : le scroll horizontal, le mélange de la photo et du dessin et une direction artistique qu’ils décident en amont. Ils choisissent de rester libres pour tout le reste.
Ils réalisent le chapitre sur Melbourne avant leur départ. C’est ce qui leur permet de poser les intentions graphiques.
Sur la route, les rôles sont bien définis : Sophie réalise les premiers croquis, le storyboard et fait les dessins sur sa tablette. Nicolas prend les photos, réaménage la composition et réalise les illustrations vectorielles de début de chapitres. “Le projet donnait une petite saveur différente au voyage. On se disait “Tiens, vas-y, prends cette photo, ça pourrait bien marcher”. On recherchait avant tout des textures (sable…) et des angles de vue, des chemins par exemple, nous permettant de nous incruster dans le décor.”
Du point de vue narratif, ils essaient de toujours se renouveler afin ne pas faire trop “plan plan” et “carnet de voyage”. C’est ainsi qu’ils décident de prendre le point de vue d’un moustique en Nouvelle-Zélande, d’aborder Uluru sous un angle culturel et de créer une histoire fictive pour Broome.
Est-ce que toutes les anecdotes se sont vraiment déroulées ? Sophie avoue des aménagements : “Quand on est retourné en Australie, l’avion a fait demi tour. Dans l’histoire je m’endors mais en réalité, j’étais bien réveillée ! J’ai parfois changé de petits détails, sinon c’est pas rigolo.”
Les histoires naissent des petites blagues qu’ils se font entre eux. Et parfois la réalité dépasse la fiction : “L’histoire des mouches dans les grottes est racontée de manière assez trash. Et ça s’est vraiment passé comme ça. Le guide nous a demandé : “Est ce que vous voulez conserver la magie ou est ce que vous voulez la vraie histoire ? “ Il était hyper marrant donc j’ai presque rien eu à changer.”
Simple et impactant
Ca fait longtemps que Sophie a le goût des belles histoires. Et c’est surtout dans la narration numérique qu’elle s’épanouit car elle reconnait avoir “plus d’idées dans l’image animée et séquentielle que dans l’image fixe”.
Dès son premier projet, en 2009, elle s’est beaucoup amusée à jouer avec l’interactivité. “J’avais filmé mon colocataire et j’avais appelé ça “Tête de Turc”. C’était une histoire avec des rebondissements et tu pouvais te défouler sur lui, interagir avec la vidéo, lui balancer des tomates, lui envoyer des verres d’eau, jouer avec les éléments incrustés dans le décor.” Le tout réalisé en Flash à l’époque.
Sophie aime les récits autobiographiques, les reportages, les nouveaux trucs qui sortent dans la narration numérique. Et c’est chez Upian ou sur le blog de Benjamin Hoguet qu’elle les déniche.
Elle a trouvé Enterre-moi mon amour, l’histoire sous la forme d’un fil Whatsapp d’une syrienne qui part en France, “hyper émouvante et immersive”. C’est l’utilisateur qui par une série de choix guide sa trajectoire et sa destinée. Elle a aussi apprécié l’histoire d’Alma, cette narco-traficante au Mexique “dont tu ne vois que le haut du buste et son visage tout au long du web documentaire. Sans vouloir te spoiler, à la fin tu es surpris”.
Rester simple et impactant, c’est ce qui est selon eux la recette des plus belles histoires. Eviter l’effet gadget et faire en sorte que la forme serve vraiment le fond du récit.
Aujourd’hui pendant que Nicolas s’adonne à son nouveau hobby, la menuiserie, et travaille en agence de service design pour rendre la vie des gens plus simple, Sophie, elle, s’est donnée un an pour approfondir le dessin, à côté de son activité freelance. Le dessin pour elle, “c’est une liberté de fou”. Elle le convoite comme un “super pouvoir qui lui permettra de tout raconter toute seule, sans contraintes matérielles”. “La boucle est entrain de se boucler, tous mes centres d’intérêts se rejoignent pour aboutir à des histoires numériques, avec du dessin et avec du “vrai”, que ce soit du reportage ou de l’auto-fiction.”
Le pouvoir de finir
“Finished but not perfect.” Ils retiennent cette phrase du YouTuber Jake Parker comme un mantra et encouragent tout le monde à faire des projets personnels. Et à aller jusqu’au bout. “Cette vidéo on y pensait tout le temps. Ok, on est perfectionnistes mais ce projet, il faut le finir. Il n’y a rien de plus gratifiant que de mettre un point final à un travail personnel. Même si ce n’est pas parfait. Quand je regarde aujourd’hui “Tête de turc”, je me dis que c’est assez moche, j’ai un sourire aux lèvres, mais ça m’a servi. Il n’y a pas un seul projet personnel que nous ayons réalisé qui ne nous aie rien apporté, dans un sens ou dans l’autre.”
Le CV en ligne réalisé en 2 semaines leur a permis notamment de décrocher leurs postes en Australie.
Le prix d’Angoulême, c’était la “cerise sur le gâteau”, mais ce qu’ils retiennent surtout c’est le retour des gens. “Au début on s’était dit, ce sera pour la famille, les amis et pour nous (et encore, la famille, je me disais “mon papy, il y a des trucs qui vont pas du tout le faire rire”). Mais au final cela a touché un public plus large qu’on ne pensait, et de tous âges. C’est le plus inattendu et le plus cool de toute cette histoire.”
Découvrez leur BD numérique en ligne : http://www.icitoutvabien.net
Ou téléchargez l’app gratuitement sur iTunes (Apple) et sur Google Play
Pour en savoir plus : Ici tout va bien